Feuilles de route 1, mars 2022 (suite)

En Quête de possibles, état des (mi)lieux et des liens, moment 1

 

Milieux Eschois

Evidemment la présence de metalu.net à Esch-sur-Alzette et son insertion dans la programmation de Esch2022 dans le cadre des événements et activités soutenus au titre de la capitale européenne de la culture ne s’est pas faite sans que des contacts aient été noués avec des personnes en charge de cette programmation. Ces contacts ont été pris en préalable de la tenue de ces premiers ateliers et dans le but d’assurer une audience à ces ateliers. Une première évidence nous saute vite aux yeux : la prolifération d’événements mis au programme pourrait cacher une difficulté à mobiliser ce public, ou ces publics, que nous ne connaissons pas. Les représentants des organisations porteuses d’Esch2022 et les premiers « collectifs » rencontrés sont finalement peu en capacité de les mobiliser. Les connaître, les reconnaître, les juxtaposer potentiellement dans une programmation qui s’adresse indistinctement à eux, est une chose. Nouer les liens qui les font pratiquer, partager des activités et occuper des lieux en commun en est une autre. La qualité et la diversité de la programmation pourrait cacher une difficulté à l’établissement de tels liens.

La qualité des lieux pourrait cacher une incapacité, momentanée ou plus durable, à « faire milieux ». S’interroger sur le fait de faire, ou pas, « milieu », revient à considérer que la mobilisation des publics n’a rien d’évident si elle ne ressort pas des logiques habituelles, essentiellement commerciales, qui animent les processus et les flux d’agglomération humaine. Dans ces processus, les lieux et les personnes se fréquentent plus qu’ils n’entrent en relations. Ils obéissent à des impératifs d’échanges en séquences que sont ceux de la médiation. Mais, il semble être devenu évident de parler de lieux et de faire comme si la question de leur fréquentation était réglée par l’apparente nouveauté de la proposition. Il ne resterait plus alors qu’à s’interroger sur les spécificités des usages que les occupants en font. En fait, bien des questions, longtemps à l’agenda des dispositifs d’action culturelle, demeurent avec toute leur acuité. A y regarder de près, les publics dont nous parlent souvent les programmateurs et autres diffuseurs des activités culturelles n’existent pas, ou pas vraiment. Ils n’existent et ne s’identifient comme tels que si les producteurs et les usagers de ces mêmes activités contribuent ensemble à leur construction. De publics potentiellement rassemblés pourront alors surgir des milieux, comme écosystèmes d’action en commun et de biotopes viables.

Avec la proposition de tenir des ateliers domozique tous les mois nous sollicitions une participation suivie, régulière, à une fabrication d’instruments et une pratique collective de la musique qui devait se traduire par une représentation commune à la fin d’un cycle de travail/jeu mené en commun. Quelles sont donc la portée et les limites d’une telle proposition faite par un collectif extérieur à l’écosystème culturel Eschois, et même Luxembourgeois ; une proposition qui, faite dans le contexte spécifique d’implantation de ce même collectif ne trouverait son public qu’à l’aune de ce qu’il a su au préalable construire d’intermédiations ? Aussi la proposition atelier Domozique est-elle peut-être moins un exercice de pratiques musicales partagées qu’une expérience de construction d’un milieu culturel. Ce faisant, elle se veut aussi une contribution convergente avec celle d’autres collectifs locaux. Aussi n’échappe-t-on pas à l’expérimentation en la matière quand il est question non pas de mobiliser un public mais de le construire en milieu ; tout ressort alors de l’  « en quête » menée sur le terrain.

L’enquête, comme toute quête, est d’abord un voyage, ou tout au moins un parcours, un arpentage, un balisage. Il s’agit de créer le contact et de laisser des traces si les liens ne se tissent pas immédiatement. Concrètement, il s’agit de se faire remarquer, de faire connaître la proposition, d’aller à la rencontre de personnes susceptibles de constituer ce public que les seuls canaux de communication officiels, ici ceux mobilisés par Esch2022, ne réussissent pas vraiment à mobiliser. Pour cette première exploration, et avec l’aide de nos premiers interlocuteurs du Bâtiment IV, un parcours se dessine qui passera par quelques lieux remarquables, des cafés, des boutiques pour terminer par une maison des jeunes et de la culture.

D’un lieu intermédiaire à un tiers lieu

Tout d’abord, une visite s’impose à Facilitec, lieu situé à quelques centaines de mètres du bâtiment IV. Facilitec (https://facilitec.lu/) se veut la fabrique des alternatives collaboratives, des initiatives locales innovantes pour la transition et l’économie circulaire[1]. Occupant l’espace d’une ancienne menuiserie, et se voulant laboratoire vivant, Facilitec se présente comme l’un de ces tiers lieux ouverts récemment, à Esch-sur-Alzette comme à Lille. Pour cette première visite, en ce samedi matin du mois de mars, le lieu est fermé et la porte ne s’ouvrira que pour laisser entrer une personne participant à un atelier déjà commencé. Cela laissera juste le temps de se présenter et de donner une pleine poignée de brochures présentant l’atelier et autres flyers. Ce sera aussi l’occasion de lancer une invitation que notre interlocutrice du moment – Celle avec qui nous sommes censés être en relation n’est pas là, ce jour – se chargera de répercuter auprès des usagers du lieu. Le second objectif de ce premier parcours Eschois sera la Maison des  Jeunes et de la Culture (Escher Jugendhaus, en Luxembourgeois). Elle est située à l’autre extrémité du centre-ville d’Esch-sur-Alzette. Ce n’est pas loin mais un repérage et des indications paraissent nécessaires. Quoi de mieux pour cela que de solliciter l’habitant qui se présente au premier carrefour.

Esch-sur-Alzette multiculturelle

En l’occurrence il s’agit d’une habitante. Non seulement elle accepte bien volontiers de me renseigner mais me propose même de m’y accompagner, puisque c’est sa route. Très vite son téléphone sonne et je m’aperçois que le dialogue qu’elle engage avec son interlocuteur est en portugais. Bien plus, elle me signale qu’en chemin, elle devra s’arrêter un bref instant pour passer commande dans un restaurant ; ce qu’elle fait au bout de quelques dizaines de mètres. Ce restaurant est brésilien, elle dialogue un bref instant avec les gens du restaurant, puis, en sortant, est interpellée par d’autres personnes que nous croisons. Tout cela se passe en portugais, souvent avec l’accent chantant du Brésil. Je saurai, peu de temps après, la très forte proportion de population d’origine portugaise et brésilienne à Esch-sur-Alzette près de 35 %, nous dit-on, et les raisons spécifiques de cette implantation. Avec la population d’origine italienne de la Moselle voisine et les français qui viennent à Esch-sur-Alzette pour travailler, cela fait beaucoup de mélanges et potentiellement d’interculturalité.

Je lui explique les raisons de ma visite à la Maison des Jeunes. Cette visite est justifiée par la prise de contact en vue de la participation éventuelle de ses usagers aux ateliers Domozique qui se tiennent au Bâtiment IV qu’elle connait sans jamais y avoir été. Je lui parle du collectif Métalu et de sa participation à la récente Nuit de la Culture qui s’est déroulée quinze jours avant. Là, elle connait, comme beaucoup de jeunes Eschois, elle y est allée et en a été impressionnée. Comprenant vite que l’atelier Domozique participe d’un esprit de la récup et de la bidouille, du recyclage et du faire soi-même, elle me propose un passage dans un lieu non prévu mais qui est sur notre route et dont elle connait les gens. Ce lieu se révèle vite être un atelier boutique, autant lieu de commerce que d’exposition d’objets issus du recyclage et d’interventions artistiques qui ne sont pas évoquer un art autant brut qu’ethnique ; l’ambiance est ici plus latino-américaine que germanique ou même européenne. Après une brève présentation de la proposition d’atelier, suivie d’un dialogue sur ce type d’activité ouverte et gratuite, une grosse poignée de brochures ira rejoindre une table déjà bien garnie de propositions culturelles.

 

D’un « bâtiment » à une « maison », de lieux en lieux

Nous arrivons devant la Maison des Jeunes où me quitte mon accompagnatrice au moment où je franchis l’entrée de ce très beau bâtiment que l’on imaginerait davantage lieu d’exposition d’art contemporain ou d’activité culturelle d’élites. Non, non, il s’agit bien de la Maison des Jeunes. Nous ne sommes pas en banlieue mais bien en centre-ville et dans une zone qui s’apparente à un quartier huppé de la ville. L’accueil se fait à l‘étage. Le contact est chaleureux en ce samedi après-midi qui n’est pas jour de grande affluence nous dit-on. L’évocation de l’atelier Domozique auprès des présent.es fait écho avec le fait que l’étage au-dessus est notamment occupé par un studio de musique. Mais, un étonnement, voire une interrogation, se fait jour. Pratiquer la musique, certes, mais de là à fabriquer ses instruments et d’envisager des composants électroniques pour une composition musicale qui prend le chemin d’une informatique en Open Source, un seuil demeure à franchir et le sera, n’en doutant pas, mais pas immédiatement ; nous devrons en reparler.

Pourtant le lien est établi. Nous échangeons sur le début d’expérience que nous menons au Bâtiment IV avec l’atelier Domozique, sur la vie des lieux et sur les activités culturelles à Esch. On nous les présente avec le support d’une carte Use It Map (https://www.use-it.travel/cities) qu’un groupe de la Maison a réalisé sur le périmètre d’Esch. Il s’agit de faire réaliser une carte sensible par des habitants d’une ville, des jeunes surtout, sur la base d’un fonds de carte en Open Source. Là, le lien s’établit immédiatement ; nous avons participé à la même démarche à Lille, autre ville dotée d’une Use It Map. Plus que ça, des associations lilloises en sont largement les promotrices à l’échelle de l’Europe. D’ailleurs nos interlocutrices viennent à Lille prochainement pour partager leur expérience avec d’autres groupes européens, dans d’autres villes.

Milieux Villeruptois

L’équipe en charge de la programmation à l’Arche a d’abord à cœur de faire venir à l’Arche des habitants à prime abord réticents. La priorité est que le lieu soit accueillant, confortable ; qu’une convivialité à faire éprouver vienne contredire l’aspect finalement austère du bâtiment isolé sur son esplanade pour l’instant vide. Aujourd’hui, pour y aller, il faut quitter le bourg, l’accès à pied n’est pas facilité par l’état actuel du chantier qui entoure le bâtiment. La route défoncée zigzague entre les chantiers. La préoccupation de l’équipe est plus dans l’ouverture prochaine du bar et du restaurant. Esch22, partagée, par-delà la frontière, entre Esch-sur-Alzette, les communes Luxembourgeoises proches et les communes de la Moselle Française limitrophe, a permis de bénéficier d’une programmation, celle de nos ateliers Domozique, un peu en décalage avec la mission donnée à l’équipe de remplir l’Arche de spectacles accessibles à un public local qu’il s’agit de convaincre. Esch-sur-Alzette et le Luxembourg d’un côté, Metz et les plus grandes villes des trois départements en proximité les uns des autres et de la frontière, la Moselle, la Meurthe et Moselle et même la Meuse, d’un autre côté, toutes exercent leur attractivité sur une population locale réticente. L’équipe de l’Arche nous dit ne pas avoir eu le temps de contacter les associations et structures qui, localement, ont assuré jusqu’à aujourd’hui les activités culturelles. Notre présence régulière à l’Arche, avec nos ateliers Domozique pourra être une contribution à cette mise en relation et aux synergies d’action culturelle qui pourraient en résulter.

Nous avons d’ailleurs l’opportunité d’en parler avec un représentant de la communauté de communes Pays Haut Val Alzette (CCPHVA) à laquelle appartient Villerupt. Cet élu a pleinement conscience des potentialités du lieu mais aussi des difficultés pour que l’Arche trouve sa place dans le paysage culturel local. En ce dimanche après-midi pluvieux, sous le ciel gris, et dans la brume qui laisse découvrir une Arche assez vide malgré la qualité du festival du court métrage proposé, l’élu montre sa confiance en l’avenir. Nous lui disons notre perspective de contribuer à assurer des liens avec la Maison des Jeunes et de la Culture de Villerupt que nous visiterons bientôt, lors de notre prochaine venue, avec l’école intercommunale de musique, des liens ont commencé à se nouer avec ses responsables. L’élu nous fournit les contacts directs qui viennent renforcer les tentatives déjà faites pour établir des connexions et mobilisés des élèves pour qu’ils rejoignent notre atelier.