Feuilles de route 2, avril 2022

Etape à Villerupt

Retour à l’Arche

Nous voilà donc de retour à Villerupt un vendredi d’avril (le 8), en fin de journée. Nous reprenons cette route en travaux qui nous mène sur cette vaste esplanade dénudée sur laquelle trône l’Arche.

Cette fois ci nous nous installons dans le local du Fablab, au premier étage. Plusieurs badges sont nécessaires pour accéder à cet espace. Le public n’est pas prêt d’y accéder par hasard. Le fablab est désormais « équipé » de ses machines et accessoires attendus et juste déballées, pas encore toutes rendues opérationnelles. Les deux imprimantes 3D attendent encore de finir à être montées. La machine à découpe laser attend son évacuation dont l’absence la rend inopérante. Les huit machines à coudre sont sous leur housse et rangées sur une étagère. Les tables ergonomiques et les chaises, tout est là et attend. Le fablab attend surtout ceux qui pourraient en être les usagers, mais avant cela même, celles et ceux qui pourraient faciliter l’accès et les usages à cet équipement pour l’instant potentiel. Mais, ce fablab, pour qu’il fonctionne, devra être opéré par des intervenants extérieurs à l’Arche dont l’effectif prévu ne comporte pas de telles affectations. Ces intervenants extérieurs, il faudra les rémunérer par la contribution des publics. Pas facile pour des activités aussi émergentes qui reposent, souvent, ailleurs, sur l’investissement personnel et la créativité de bidouilleurs qui ne se voient pas comme des « publics » venant participer à des activités qu’ils n’auront pas « co-construites » ensemble. De plus, les questions administratives et de sécurité ne sont pas encore réglées. Avec notre atelier Domozique nous sommes les premiers à donner vie à cet espace.

 

L’atelier Domozique

Notre attente pour tenir l’atelier dans ce nouvel espace fablab ne tarde pas à être récompensée. Accompagnés de la chargée des publics, stagiaire, qui fait l’accueil dans le hall, quatre jeunes, adolescent.es, entrent dans le fablab. Deux garçons de 9 et 12 ans, accompagnés de leur grand-mère  sont suivis de deux filles de 11 et 12 ans, accompagnées de la mère de l’une. Tout ce qu’ils découvrent les intimide, le lieu avec ses machines, tiens une imprimante 3D, cool, les « domotiziens » de metalu.net, mais surtout l’univers hétéroclite qu’ils découvrent et qui les surprend, tiens un aspirateur, des boites, des boutons et des câbles partout…Leur fréquentation habituelle de l’école de musique ne semble pas les aider à trouver des points de repère. On les invite à s’approcher et à toucher ce qu’ils n’osent pas appeler les instruments de musique. « Ben quoi, vous n’avez jamais vu d’aspirateur ?, regardez comment ça marche ! ». Le son qui en sort les surprend. Visiblement tous s’attendaient à du bruit. On n’en est pas encore à oser toucher les instruments qui leur sont présentés.

Ce qui leur est présenté ils.elles pourrons les « jouer », mais aussi en créer d’autres. « Regardez, on a tout ce qu’il faut pour en faire, et si vous avez chez vous des objets qui vous semblent susceptibles d’équiper en instruments de musique, n’hésitez pas, ramenez les la prochaine fois, on le fera ensemble, l’objectif et d’en avoir beaucoup, de les équiper et connecter, on va vous montrer, pour pouvoir ensuite jouer ensemble ce que l’on aura composé, en orchestre de Domozique… ».  Les réticences et les hésitations ne sont pas encore levées, mais l’intérêt se fait jour. « Regardez ce qu’il y a à l’intérieur, dans chaque instrument, il y a un petit ordi et des capteurs, des connexions ». On les ouvre et tous découvrent qu’ils sont bourrés d’électronique ; « waouh, c’est stylé… ». « Comment ça marche ? ».  Chaque instrument est nommé, ouvert et essayé. Sont montrés dans leur état ceux qui en cours de fabrication, une « guitare », en fait un râteau à ramasser les feuilles dont on pourra pincer les « cordes », mais aussi un violon qui se présente comme des tiges et des tubes que l’on pourra frotter. L’instrument est ici plus le geste ou le souffle que l’imitation de l’instrument ; une façon aussi de faire comprendre ce qui produit le son. Mais le son « on le travaille avec des outils informatiques que l’on met au service de la musique ». Mais alors qu’est-ce que l’informatique ? Savez-vous comment ça se passe, vous qui l’utilisez tous les jours ? Un ordi, c’est quoi en fait ? Tenez en voici un dans cet aspirateur. Il est petit. C’est un Raspberry Pi. C’est le cœur de l’ordi. Tout le reste c’est de la connectique (des câbles et des capteurs) et du plastique pas toujours recyclable. Mais, ce qui les fait marcher tout cela ce sont des logiciels. On fait de la musique avec des logiciels. « Ceux que l’on utilise ici, et que je vais vous montrer, ce sont des logiciels gratuits, parce qu’on ne trouve pas normal d’avoir à les acheter pour créer, pour faire de la musique alors qu’ils ont eux-mêmes été créés par des gens qui n’ont pas voulu en faire un commerce ». Sans que cela soit vraiment préparé les ados se regroupent, trouvent des chaises pour s’assoir tout autour d’A. et de son ordi qui commence à leur expliquer comment fonctionne un logiciel et comment on peut travailler les sons avec ça. On doit montrer que les sons sont des fréquences, des vibrations. Grâce au logiciel qui équipe l’ordi, ici Puredata, on teste le rapport entre le type de fréquence et le son. Tiens, on n’entend pas tous de la même façon, question d’âge. Ils sont satisfaits d’avoir une meilleure audition des sons aigus du fait de la jeunesse. Mais, ce que permet le logiciel c’est de régler les fréquences et de les accorder, c’est à dire les mettre en gammes. L’attention est soutenue. Mais voyons ce que cela donne sur les différents instruments. Tous se lèvent et, maintenant, les objets étant démystifiés, on s’en rapproche. On les prend en mains. On ose un son, puis un autre. Chacun trouve son chemin pour commencer à pratiquer l’instrument. Les uns cherchent immédiatement des éléments de mélodie, reproduire un son connu puis enchaîner quelques notes, à l’oreille. Les autres, s’approprient l’instrument par l’adoption d’un comportement, d’un geste, lié à l’instrument tel qu’ils se le représentent : le geste de mettre l’Aspicolor entre les jambes, façon violoncelle ; le geste de toucher les boutons et de faire jouer les curseurs du Poste de Sécurité, d’une main en bougeant son corps, façon DJ. Le jeune apprenti batteur est désorienté lorsqu’on lui dit que les boites, façon Tupperware, qui constituent ensemble une « batterie », il faut appuyer sur des boutons mais surtout les secouer dans tous les sens pour en jouer. Il proposera bientôt de faire ce qu’il n’arrive pas tout d’abord à nommer, des trucs que l’on secoue qui s’avèrent être des maracas et qu’il nomme en hésitant des « shakers » ; aurait-il plus de connaissances dans les produits liés à l’univers des bars, merci les séries américaines, que ceux liés à la musique internationale ? Maintenant les réticences sont tombées. Il n’y a que la fatigue (des adultes qui les accompagnent, surtout) et de la faim qui gagne tout le monde, il est déjà 20h, qui peuvent les arrêter.

Une « artiste » présente dans les locaux de l’Arche parce qu’en repérage pour un travail à venir est attirée par les sons et l’animation qui provient du fablab. Elle passe d’abord la tête par la porte ouverte et observe longuement ce qui se passe et qu’elle ne comprend d’abord pas. A l’invitation de J-M., l’un des deux domotiziens, elle s’avance et se fait raconter ce qui se pratique. Ce qui l’intéresse alors ce sont les équipements électroniques embarqués dans les instruments et qui pourraient lui être des solutions pratiques et économiques pour animer ses installations plastiques.

Le moment est venu de se quitter et de se dire à la prochaine, au prochain atelier.

 

Etape à Esch-sur-Alzette

De nouveau au Bâtiment IV

Pour ce nouvel atelier à Esch-sur-Alzette nous installons à nouveau nos équipements et instruments dans la salle contigüe à la cuisine du Bâtiment IV. Cette fois ci nous avons été sollicités par les organisateurs d’Esch22 pour accueillir un public particulier, des personnes mal entendantes. Ces personnes ne sont pas là par hasard, elles sont en recherche d’une pratique musicale adaptée à leur handicap. Selon le principe de l’atelier, pas de longues présentations et pas de préalable à l’approche des instruments, on commence tout de suite par produire des sons. Immédiatement, les limites de l’audition de chacun est en débat. Les personnes mal entendantes sont sensibles aux fréquences basses, les plus graves, elles les ressentent dans leur corps. Les fréquences hautes, les aiguës  leur sont étrangers, comme les plus aiguës le sont également des personnes les plus âgées, toutes un peu handicapées quelque part. Mais l’association luxembourgeoise à laquelle appartiennent ces personnes les a aidée à s’équiper de gilets spéciaux qui sont une assistance à l’audition par la sensibilisation aux vibrations produites par les sons. Ainsi équipé, le rapport des personnes à la musique change, l’écoute est sensation et vibration autant que travail de l’oreille.

 

L’atelier Domozique

Tous nous nous équipons tour à tour des cinq gilets disponibles pour une « écoute » partagée. Les mal entendants sont plus à l‘aise que les auditeurs « normaux ». Nous viennent nos expériences de concerts en live où, près des murs d’enceintes, nous avons fait l’expérience des vibrations des basses qui nous ont parfois même mis l’estomac à l’envers tellement elles étaient puissantes. Tous les instruments sont passés en revue de façon à sélectionner les « gammes » de sons qui privilégieront les graves et donc permettront aux gilets de jouer leur rôle à fond. Ici le geste est obligatoirement associé à l’écoute puisque c’est le corps qui ressent le son plus qu’il ne l’entend. Les équipements proposés permettent des réglages rapides pour une musique qui leur est particulièrement adaptée. Ici ils et elles cesseront de ne ressentir qu’une partie de la musique pour l’envisager de façon continue parce que faite pour eux et elles. Cela leur permet de ressentir l’intégralité de ce qui est composé et pas seulement la partie des sons qui leur est accessible.

S’il était encore besoin de le comprendre, ici, avec ce public et ceux qui les accompagnent, ne forment pas un public homogène mais bien des publics différents et diversifiés.

Le hasard des programmations fait que dans l’une des salles proches de celle où nous sommes se tient un autre atelier qui rassemble une grande diversité de musiciens de différents origines et qui répètent le concert qu’ils doivent donner prochainement à Esch. Des ouds voisinent avec des guitares et des percussions. Les musiciens d’à côté sont intrigués par nos pratiques musicales qui associent des instruments improbables avec des équipements d’écoute, les gilets, qui font penser à des gilets de sauvetage. Serait-ce des migrants, comme certains d’entre eux peut-être, qui se préparent à une traversée, musicale cette fois ? Ils entrent et veulent en savoir plus. Tous veulent essayer. Le lien avec les réfugiés s’impose de lui-même. Est envisagée l’idée d’adapter l’atelier pour cela ; de le tenir en anglais, par exemple. Cela fait comme une évidence dans un contexte où le multilinguisme est de rigueur.